Introduction générale

Entre 1960 et 2003, Jacques Derrida a écrit quelque 14 000 pages imprimées pour les cours et séminaires qu’il donna à Paris, d’abord à la Sorbonne (1960-1964), ensuite à l’École normale supérieure de la rue d’Ulm (1964-1984) et, pendant les vingt dernières années de sa vie, à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS, 1984-2003). La série « Les séminaires de Jacques Derrida », dans la collection « Bibliothèque Derrida », donne à lire les séminaires que Derrida a offerts à l’EHESS. Il s’agit de la période de son enseignement où Derrida avait la liberté de choisir les sujets qu’il développait le plus souvent sur deux, parfois trois années, dans ses séminaires eux-mêmes organisés selon les séquences thématiques suivantes : « Nationalité et nationalisme philosophiques » (1984-1988), « Politiques de l’amitié » (1988-1991), suivies de la grande série des « Questions de responsabilité » (1991-2003), qui abordera successivement le secret (1991-1992), le témoignage (1992-1995), l’hospitalité (1995-1997), le parjure et le pardon (1997-1999), la peine de mort (1999-2001) et, finalement, les questions de la souveraineté et de l’animalité sous le titre « La bête et le souverain » (2001-2003). Nous poursuivons ici la logique déjà établie pour les derniers séminaires de Jacques Derrida, à savoir l’édition à rebours de tous les séminaires donnés à l’EHESS en respectant la chronologie interne de chaque séquence thématique. Conformément à ce plan, « Hospitalité II » (1996-1997) est suivi par « Répondre – du secret » (1991-1992), premier volume qui se poursuivra de 1992 à 1995 avec le séminaire sur le témoignage, et ainsi de suite jusqu’au quatrième volume de la première séquence intitulée « Nationalité et nationalisme philosophiques ».

Quant aux cours, il s’agit principalement de ceux que Derrida a donnés en tant qu’assistant à la Sorbonne, entre 1960 et 1964. Les archives conservent la trace d’une quarantaine de ces cours, plusieurs ne comportant qu’une ou deux séances, tandis que d’autres en ont jusqu’à dix-sept. (Le cours de 1960-1961 intitulé « Penser, c’est dire non » et paru dans la « Bibliothèque Derrida » en 2022, ne comportait, par exemple, que quatre séances.)

En ce qui concerne le travail éditorial, nous sommes restés aussi fidèles que possible au texte tel qu’il a été rédigé par Jacques Derrida et nous le présentons avec un strict minimum d’interventions éditoriales. À de très rares exceptions (séances improvisées), Derrida préparait pour chaque séance non pas des notes mais bien un discours continu, ponctué parfois de références aux textes qu’il citait, de didascalies (« Commenter ») indiquant un moment d’improvisation et d’annotations marginales ou interlinéaires. Quand nous avons pu retrouver les enregistrements des séminaires, nous notons aussi en bas de page les ajouts à son texte que Derrida élaborait en cours de séance. Il est vraisemblable que, s’il avait lui-même publié ses cours et ses séminaires de son vivant, il les aurait remaniés : cette pratique du remaniement était d’ailleurs assez courante chez Derrida qui avait l’habitude de puiser dans le vaste matériel de ses cours et de le transformer pour les conférences et les textes qu’il destinait à la publication. Cela explique qu’on trouve parfois des reprises et des recoupements partiels d’un cours ou d’un séminaire dans un ouvrage déjà publié, ce qui ne fait qu’attirer davantage notre attention sur la dynamique et la cohérence propre de son enseignement, laboratoire où Derrida testait des idées qui furent éventuellement développées ailleurs, sous une forme plus ou moins modifiée. Cela dit, l’immense majorité des cours et des séminaires que nous publions dans la « Bibliothèque Derrida » sont entièrement inédits : la publication ne saurait qu’enrichir sensiblement le corpus de la pensée derridienne, en donnant à lire l’une de ses ressources essentielles.

Pascale-Anne Brault, responsable du comité éditorial
Geoffrey Bennington – Katie Chenoweth – Nicholas Cotton –
Marc Crépon – Peggy Kamuf – Ginette Michaud –
Michael Naas – Elizabeth Rottenberg – David Wills