Manon Loisel et Nicolas Rio

Pour en finir
avec la démocratie
participative

Petite encyclopédie critique

Collection « Petite encyclopédie critique »

Dirigée par Manuel Cervera-Marzal et Sébastien Chauvin

Manon Loisel et Nicolas Rio sont tous les deux politistes et enseignants à Sciences Po. Au sein de l’agence Partie Prenante qu’ils ont cofondée en 2017, ils ont un pied dans le conseil et un autre dans la recherche. Leurs travaux portent sur la gouvernance locale et sur le partage des rôles entre élus, citoyens et administrations.

Graphisme de la couverture : Agnès Dahan
Correction : Géraldine Chognard
© Les éditions Textuel, 2024
2, rue Rampal - 75020 Paris
www.editionstextuel.comI
SBN : 978-2-84597-977-2
Version numérique 2024
ISBN : 9782845979871

Sommaire

Introduction :
face à l’impuissance démocratique

Chapitre 1
La gueule de bois du renouveau démocratique

Des Gilets jaunes au Grand Débat

La fuite en avant d’une participation sans effet

Désillusions à retardement

Une mobilisation des citoyens sous contrôle

Quand la participation fabrique de la défiance

Participation et concentration du pouvoir

Chapitre 2
La participation contre l’égalité démocratique

Élection et participation : toujours les mêmes !

Quand « la » parole citoyenne invisibilise la pluralité des citoyens

Une écoute sélective difficile à assumer

Redistribuer l’attention des institutions

La démocratie pour garantir la prise en compte des absents

Inverser les points de vue… et les rapports de pouvoir

Chapitre 3
De l’expression des citoyens à la capacité d’écoute des institutions

L’obsession de faire parler les citoyens

L’avènement de la démocratie administrée

La surdité des institutions

Évitement du conflit et sentiments d’injustice

Faire entendre le vécu des inaudibles

Donner une place à l’administration en démocratie

Le rôle des contre-pouvoirs dans la fabrique de l’action publique

Chapitre 4
Démocratiser l’action publique face à l’urgence écologique

Le dysfonctionnement des assemblées politiques

Réhabiliter la fonction délibérative des élus

Du pilotage de l’action publique à sa mise en débat

Deux garde-fous pour rendre la délibération démocratique

Une vie démocratique déconnectée de la mise en œuvre

Faire entrer la négociation en démocratie

La démocratie comme confrontation des intérêts divergents

Conclusion :
avoir la charge de nous représenter

Collection « Petite encyclopédie critique »

Notes

Remerciements

Pour nous qui sommes habitués à la production de textes courts, l’écriture d’un livre est un vrai marathon. Une mise à l’épreuve qui nous oblige à clarifier nos présupposés et nos contradictions. Un grand merci à nos directeurs de collection, Sébastien Chauvin et Manuel Cervera-Marzal, pour leur soutien constant et exigeant. Merci aussi à notre groupe de relecteur∙ice∙s pour leurs précieux retours : Emmanuel Bodinier, Sacha Czertok, Elisabeth Dau, Guillaume Gourgues, Nadège Guiraud, Béatrice Guyon, Tangi Loisel, Sandra Moatti, Baptiste Rio, Eva Rio, Jean-Pierre Ruaut et Hugo Soutra. Merci à Sonia Derzypolski pour ses protocoles déconcertants. Merci aux éditions Textuel, à Marianne Théry et Alicia Mille, d’avoir accepté de publier cet essai, et à Médiacités pour la diffusion de la tribune qui en est à l’origine.

Ce livre est le fruit d’une dizaine d’années d’accompagnement des acteurs publics sur les questions de gouvernance locale. Si le propos n’engage que ses auteurs, il doit beaucoup à tous les agents, élus, chercheurs, acteurs associatifs et consultants qui ont contribué à alimenter cette réflexion ; à Mathilde François et Mathias Rouet pour les tentatives communes de mise en pratique ; à Daniel Béhar, Philippe Estèbe, Martin Vanier et tous les Acadiens pour nous avoir initiés au décryptage de la fabrique de l’action publique.

Introduction :
face à l’impuissance démocratique

La crise démocratique n’est pas une abstraction, c’est une réalité que nous observons au quotidien. Centralisation des décisions, absence de débat contradictoire, manque de représentativité des élus, poids des lobbies : les dysfonctionnements de nos institutions soulignent l’ampleur du décalage entre la théorie et la pratique. Cette situation a des conséquences concrètes sur la société. Du côté des citoyens, elle entraîne une hausse de la défiance et de la colère, avec le sentiment de ne pas être entendu. Du côté des institutions, elle se traduit par une incapacité à prendre en compte la diversité des besoins et à faire accepter les mesures retenues.

Depuis plusieurs années, la participation citoyenne est présentée comme le principal remède à cette crise démocratique. Conventions citoyennes, consultations en ligne, budgets participatifs, réunions publiques… Les institutions multiplient les dispositifs pour faire parler les citoyens et les inviter à donner leur avis. La démocratie participative est devenue la solution réflexe pour tenter d’atténuer la défiance entre les citoyens et leurs élus.

L’évidence participative mérite pourtant d’être questionnée. La participation citoyenne ne parvient pas à corriger les limites de la démocratie représentative. Pire, elle conduit bien souvent à en accentuer les travers. C’est en tout cas le constat qui se dégage de nos expériences d’accompagnement des collectivités locales, et de notre observation attentive des démarches participatives initiées au niveau national. Le développement de la participation s’accompagne d’une incapacité persistante à rendre la fabrique de l’action publique plus démocratique.

C’est en pensant à toutes les personnes qui font vivre la démocratie au quotidien (élus, agents publics, consultants, citoyens engagés…) que nous avons écrit ce livre. Depuis dix ans, nous évoluons à leur contact. Consultants en coopérations territoriales, nous sommes des praticiens de la démocratie locale. Comme eux, nous cherchons à en améliorer le fonctionnement au plus près du terrain. Et comme eux, nous sommes pris de désillusions sur la portée du « renouveau démocratique » annoncé.

Ce livre est le prolongement d’une tribune, publiée sur le site d’investigation locale Médiacités1. À l’époque, nous avions formulé le titre sous forme de question : faut-il en finir avec la démocratie participative ? Écrit comme un témoignage à la première personne, le texte reprenait les doutes et les frustrations qui nous travaillent dans nos missions de conseil auprès des collectivités locales. Les nombreuses réactions suscitées par la tribune nous ont encouragés à poursuivre l’analyse en prenant conscience que nous sommes loin d’être les seuls à ressentir ce désenchantement. En réalisant aussi que plus l’injonction à la participation se renforce, plus la nécessité de la mettre en débat devient nécessaire.

Transformer ce billet subjectif en essai nous a posé de nombreuses questions. Sommes-nous en train de jeter un pavé dans la mare ou d’enfoncer une porte ouverte ? De scier la branche sur laquelle nous sommes assis ou de défendre notre business de consultants ? Et surtout, un tel propos ne risque-t-il pas de fragiliser une démocratie déjà bien affaiblie ? Ces questions sont à l’image de l’impasse dans laquelle nous sommes nombreux à nous retrouver.

Nous ne prétendons pas avoir de solution miracle pour sauver la démocratie. Nous cherchons plutôt à porter le regard le plus lucide possible sur son fonctionnement effectif, en explorant les pistes qui permettraient de surmonter les travers identifiés. Cette analyse se situe au croisement entre nos expériences pratiques au contact des acteurs de terrain et nos lectures théoriques sur la démocratie participative2 et la crise démocratique.

Le titre du livre n’a donc rien d’une provocation. Ce n’est pas un pamphlet mais une tentative de prise de recul, pour sortir du piège dans lequel les outils de participation nous ont progressivement enfermés. Si nous proposons d’en finir avec la démocratie participative, c’est pour mieux renouer avec l’effort de démocratisation de l’action publique.

Chapitre 1
La gueule de bois du renouveau démocratique

Ce livre trouve son origine dans l’organisation successive du Grand Débat national (décembre 2018 – avril 2019) puis de la Convention citoyenne pour le climat (avril 2019 – juin 2020). Et dans le malaise croissant que ces deux démarches lancées en réaction au mouvement des Gilets jaunes ont suscité en nous. Jamais la démocratie participative n’avait été déployée avec une telle ampleur et n’avait mobilisé autant de moyens. Mais pour quels résultats ? Loin de redonner du pouvoir aux citoyens, ces deux expériences ont surtout fait la preuve de leur impuissance à transformer le système politique en place et le contenu des politiques menées.

Cette impuissance n’avait rien d’imprévisible. Elle est inscrite dans le fonctionnement de ce qui est à tort qualifié de « démocratie » participative. On la retrouve dans l’ensemble des dispositifs de participation mis en place par les collectivités locales. Pour chaque démarche, la frustration à l’arrivée est à la hauteur de l’espoir suscité par la promesse de départ. « Tout ça pour ça ? ! » nous disent les participants autant que les organisateurs.

Le Grand Débat national et la Convention citoyenne pour le climat apparaissent comme un miroir grossissant des travers que nous observons dans les dispositifs de participation déployés au niveau local. Leur analyse à froid jette une lumière crue sur ce prétendu « renouveau démocratique ». Sous couvert d’innovations, la démocratie participative accompagne la centralisation du pouvoir et renforce la défiance entre les citoyens et leurs institutions.

Des Gilets jaunes
au Grand Débat

Décembre 2018 : depuis plusieurs semaines, des dizaines de milliers de personnes se réunissent sur les ronds-points et manifestent chaque week-end, avec le besoin d’exprimer leur colère et l’espoir de se faire entendre du pouvoir. Suscité en réaction à la taxe carbone votée par le parlement, ce mouvement sans leader désigné y ajoute progressivement une autre revendication : le référendum d’initiative citoyenne, ou RIC, pour « redonner le pouvoir au peuple ».

Le 10 décembre, le président Macron intervient à la télévision pour tenter de mettre fin à cette contestation populaire qui ne cesse de s’intensifier. En conclusion, il annonce l’organisation d’un « débat sans précédent (…) pour prendre le pouls vivant de notre pays3. ». Présenté comme un « outil consultatif de sortie de crise » qui « doit se dérouler partout sur le terrain », le Grand Débat national est lancé un mois plus tard. Tous les acteurs locaux (élus, associations ou simples citoyens) sont invités par le gouvernement à organiser un « grand débat » dans leur commune, à en assurer l’animation et la restitution. L’ensemble des événements est agrégé sur une plateforme numérique, permettant à chaque citoyen de trouver un débat près de chez lui ou de contribuer en ligne. Le président s’engage quant à lui dans un tour de France des sous-préfectures, pour aller dialoguer des heures durant avec des centaines de maires censés faire remonter les doléances de leurs concitoyens.

La ficelle est un peu grosse, mais force est de constater que ça marche ! Les médias s’emparent avec gourmandise de cette démarche participative d’une ampleur inégalée. Dix mille réunions sont organisées en trois mois d’après le gouvernement4. Et des citoyens y participent : 50 personnes en moyenne à chaque réunion, toujours selon les organisateurs du Grand Débat. Cinq cent mille personnes, c’est peu rapporté à une élection présidentielle avec ses 49 millions d’inscrits et ses 35 millions de votants. Mais pour une démarche participative, c’est une sacrée performance ! Surtout si on y ajoute les 500 000 contributions sur la plateforme en ligne.

La plupart des Gilets jaunes décident de boycotter, d’autres viennent aux réunions faire entendre leurs revendications. L’Association des maires ruraux de France reprend à son compte l’imaginaire révolutionnaire en proposant aux citoyens de venir remplir des « cahiers de doléances » dans les mairies5.

L’animation des réunions est un peu aléatoire, sans parler de leur restitution écrite. Les animateurs disposent d’un kit téléchargeable sur la plateforme et peuvent faire appel à la hot-line mise en place par l’équipe de 40 personnes qui pilote le Grand Débat depuis Paris. Mais au moins les gens s’expriment et leur parole est relayée dans les médias. Les séances de dialogue entre les maires et le président sont même retransmises sur les chaînes d’information en continu.

Du côté des « professionnels » de la participation citoyenne, on s’interroge : faut-il prendre la démarche au sérieux ? Tout le monde sent bien qu’il s’agit avant tout d’une stratégie de diversion du président et de son gouvernement pour sortir de l’impasse dans laquelle les ont mis les Gilets jaunes6. Mais tout de même, pour une fois que la participation citoyenne est reconnue au plus haut sommet de l’État, ce serait malvenu de cracher dans la soupe.

Cette consécration de la démocratie participative est d’autant plus savoureuse qu’elle émane d’un président se présentant lui-même comme jupitérien, adepte d’une pratique descendante du pouvoir et de la décision. « Ce débat est une initiative inédite dont j’ai la ferme volonté de tirer toutes les conclusions. Ce n’est ni une élection, ni un référendum. C’est votre expression personnelle, correspondant à votre histoire, à vos opinions, à vos priorités, qui est ici attendue, sans distinction d’âge ni de condition sociale. C’est, je crois, un grand pas en avant pour notre République que de consulter ainsi ses citoyens. C’est ainsi que j’entends transformer avec vous les colères en solutions. » écrit ainsi Emmanuel Macron dans sa Lettre aux Français7.

Si le caractère inattendu de ce retournement interroge sur sa sincérité, il n’en marque pas moins une mise en visibilité de la participation citoyenne. La démocratie participative est considérée comme le meilleur moyen de recréer les conditions d’un débat apaisé après les manifestations violentes (et violemment réprimées) des Gilets jaunes. L’onction présidentielle oblige ministres et éditorialistes, élus locaux et corps intermédiaires à prendre la participation citoyenne au sérieux : tous se retrouvent à devoir jouer le jeu du Grand Débat présidentiel, en se pliant à l’exercice des réunions publiques et du recueil des doléances. Mieux, la démocratie participative est présentée par le président comme un levier de transformation plus structurel du fonctionnement des institutions en vue de sa réforme constitutionnelle : le « renouveau démocratique », concept qui deviendra ensuite un intitulé ministériel, sera participatif ou ne sera pas.

La fuite en avant
d’une participation sans effet

Au-delà des interrogations sur l’indépendance et la transparence du Grand Débat8, c’est sur ses effets que les doutes sont les plus forts. La parole de ces centaines de milliers de citoyens sera-t-elle en mesure d’infléchir la ligne politique du président ? La participation citoyenne sera-t-elle en capacité de réorienter la feuille de route gouvernementale, là où les manifestations de Gilets jaunes ont obtenu l’abandon de la taxe carbone, la suppression de la hausse de la CSG, l’augmentation du salaire minimum et la défiscalisation des heures supplémentaires ? Cette question est posée dans une tribune initiée par Démocratie ouverte, collectif qui regroupe des militants, chercheurs et praticiens de la démocratie participative, une semaine après le lancement officiel du Grand Débat.

Dans cette lettre ouverte cosignée avec des Gilets jaunes, des artistes et des élus, les « Gilets citoyens » dénoncent le manque de méthode de la démarche et alertent sur le besoin d’avoir « un engagement politique clair et fort pris sur le débouché concret des propositions qui émergeront, avant même de savoir ce que seront ces propositions. » Pour « garantir la réussite de ce Grand Débat » ils demandent « la mise en place d’une assemblée citoyenne tirée au sort, représentative de la société, chargée de faire des propositions donnant lieu à un référendum à choix multiples9 ». La lettre ouverte n’obtiendra pas de réponse. Et hormis la nomination de cinq garants chargés de veiller à la transparence du processus, aucun engagement n’est pris pour préciser ce que signifie pour le président « tirer toutes les conclusions » d’un tel débat.

La conférence de clôture du Grand Débat renforce cette inquiétude autant qu’elle vient la dissiper. D’un côté, Emmanuel Macron reproduit le travers dénoncé dans la tribune en exposant sa lecture de l’expression des Français sans que l’on sache très bien sur quoi repose son interprétation. « Alors face à toutes ces inquiétudes qui se sont exprimées, ces sentiments que je voulais rassembler pour dire un peu ce que j’avais compris et entendu : est-ce qu’il faudrait tout arrêter de ce qui a été fait depuis deux ans ? Je me suis posé la question : “est-ce qu’on a fait fausse route ?” Je crois tout le contraire, je crois que les transformations en cours ne doivent pas être arrêtées parce qu’elles répondent profondément à l’aspiration de nos concitoyens10. » Une telle conclusion est un classique de l’instrumentalisation de la participation citoyenne : transformer subrepticement les participants en soutiens à la politique menée sans leur laisser la possibilité de contester cette interprétation.

Dans le même temps, le président reprend à son compte la proposition d’assemblée citoyenne formulée par les Gilets citoyens : « Dès le mois de juin, nous tirerons au sort 150 citoyens pour constituer ce début de conseil de la participation citoyenne. Ce sera organisé au CESE (Conseil économique, social et environnemental) actuel avant sa réforme et nous commencerons à innover avec ce nouveau travail qui je crois répond aux aspirations profondes et permet de mobiliser l’intelligence collective de manière différente11. » La technique est habituelle et se retrouve au niveau local : pour démontrer que les citoyens sortent gagnant de cette vaste consultation citoyenne, le mieux est d’annoncer une nouvelle étape vers encore plus de démocratie participative…

La Convention citoyenne apporte une autre déclinaison de la démocratie participative. Son format prend en effet le contre-pied du Grand Débat, comme pour répondre à toutes les critiques qui lui ont été adressées. La participation citoyenne change de cible, en passant d’une invitation tous azimuts à un groupe fermé de 150 personnes, tirées au sort pour représenter la diversité sociale, générationnelle et géographique du pays. Le choix est fait aussi de restreindre le champ des discussions. Alors que le Grand Débat brassait une grande diversité de sujets, la convention citoyenne est rapidement recentrée sur la question climatique. Sa mission est définie dans une lettre de commande signée par le Premier ministre : « définir les mesures structurantes pour parvenir, dans un esprit de justice sociale, à réduire les émissions de CO2 d’au moins 40 % d’ici 2030 par rapport à 1990 ».

Cette fois-ci, le débouché de la participation citoyenne est énoncé clairement : « Au terme de ses travaux, la convention citoyenne adressera publiquement au gouvernement et au président de la République un rapport faisant état de ses discussions ainsi que l’ensemble des mesures législatives et réglementaires qu’elle aura jugées nécessaires pour atteindre l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Elle pourra désigner, parmi les mesures législatives, celles dont elle jugerait qu’elles soient soumises à un référendum12 ».

La participation citoyenne change ainsi de nature pour surmonter la déception du Grand Débat : d’une addition de contributions hétérogènes, elle devient réflexion au long cours pour donner lieu à un texte censé être soumis au vote. Les 150 citoyens tirés au sort se réuniront à sept reprises en 2019-2020, en alternant des auditions d’experts et des temps d’ateliers13. Et bénéficieront même de l’assistance de juristes pour s’assurer que leurs propositions puissent être inscrites dans la loi.

À la démonstration de force quantitative produite par le Grand Débat, la Convention citoyenne pour le climat apporte un approfondissement qualitatif. Son organisation est confiée à un groupement de trois cabinets spécialisés dans l’animation de panels citoyens. Son indépendance est garantie par la mise en place d’un comité de gouvernance, coprésidé par Thierry Pech (directeur de la Fondation Terra Nova) et Laurence Tubiana (ancienne négociatrice en chef de la COP21). Le comité est composé de trois experts du climat, trois experts de la démocratie participative et cinq membres du CESE.

Là où l’animation du Grand Débat sur le terrain était laissée à l’initiative des organisateurs volontaires, celle de la convention citoyenne est prise en mains par une équipe de professionnels et fait l’objet de longues discussions avec les experts du comité de gouvernance. Faire en sorte que 150 personnes qui ne sont pas spécialistes du sujet puissent produire des propositions capables de faire évoluer les lois : l’enjeu est de taille ! Un important travail de communication est entrepris pour attirer l’attention des journalistes et faire en sorte que les citoyens qui le souhaitent puissent suivre les débats de la Convention.

Contrairement au Grand Débat accueilli avec un certain scepticisme, la Convention citoyenne pour le climat suscite beaucoup d’espoir chez les acteurs de la participation citoyenne sur sa capacité à renouveler le fonctionnement de notre démocratie. On s’enthousiasme pour la démarche en tant que telle et les avancées dont elle est porteuse sur la question climatique, mais aussi pour son effet d’entraînement sur les autres espaces de participation citoyenne. La Convention citoyenne est vite mise en avant comme la preuve qu’il est possible de placer les citoyens au cœur de la décision publique. Le format est d’ailleurs repris par plusieurs collectivités, de la métropole de Nantes à celle de Grenoble, en passant par la ville de Clermont-Ferrand ou le conseil régional d’Occitanie14.

La déception n’en sera que plus grande ! Car si la plupart des acteurs de la participation reconnaissent la qualité du processus, le regard est bien plus sévère quant à son impact sur l’action publique. Alors qu’en ouverture des travaux, le président avait annoncé que les résultats de la Convention seraient mis au vote « sans filtre » au parlement ou par référendum15, les 149 propositions émises par la Convention sont progressivement détricotées dans un long processus de négociations avec les administrations ministérielles puis avec les parlementaires. Seules 10 propositions seront reprises telles quelles dans la loi Climat et Résilience adoptée en 2021, censée pourtant être la traduction législative des travaux de la CCC ; les autres sont soit abandonnées, soit édulcorées ou remises à plus tard16.

Ce taux de perte révèle la difficulté à transformer les propositions citoyennes en mesures d’action publique, en dépit des discours volontaristes réaffirmés tout au long de la démarche. Alors que l’animation de la Convention a bénéficié d’une importante « ingénierie », très peu de moyens ont été consacrés pour accompagner les citoyens tirés au sort dans les négociations qui ont suivi l’adoption de leur rapport.

La gestion du Covid et des confinements successifs portera le coup de grâce pour toutes celles et ceux qui, comme nous, avaient cru au renouveau démocratique. À mille lieues des promesses d’une gouvernance renouvelée mettant l’accent sur la délibération citoyenne, la gestion de la pandémie marque le retour à une gouvernance pyramidale, où toutes les décisions sont prises au sommet. Les maires sont cantonnés à un rôle d’exécutant des décisions gouvernementales en duo avec les préfets. Quant aux citoyens, ils sont surtout considérés comme les destinataires des consignes sanitaires17.

Désillusions à retardement

Chacun à leur façon, le Grand Débat puis la Convention citoyenne illustrent le mélange d’espoir et de déception qui entoure toutes les démarches participatives. Cette désillusion, nous en avons fait l’expérience à de multiples reprises au niveau local. À chaque fois, on se dit « ça pourrait marcher ». Et à chaque fois, on assiste au même processus : l’ivresse éphémère produite par le sentiment de renforcer le pouvoir des citoyens laisse la place à une gueule de bois liée à l’inertie du fonctionnement de nos institutions. Tout le monde se souvient du début de la démarche, quand les élus ont ouvert les débats, les citoyens ont pris la parole, auditionné des experts, formulé des propositions… Mais la suite de l’histoire devient de plus en plus floue, et elle donne mal à la tête. Que sont devenues ces propositions ? Qui s’en est saisi ? Ont-elles été mises en œuvre ? Black-out.

On pourrait reprocher au Grand Débat d’avoir été mal conçu, au président d’avoir trahi ses annonces initiales, aux ministres et aux élus de ne pas avoir joué le jeu, aux participants d’avoir été trop naïfs, etc. Il y a sans doute du vrai dans toutes ces critiques, qui valent aussi pour les démarches menées au niveau local. Mais le problème est selon nous plus structurel.

Quel que soit le format, le même travers se reproduit : ce qui devait être un moyen (pour faire en sorte que chaque voix compte) devient une fin en soi (pour prouver qu’on a donné la parole aux citoyens). « Ces dispositifs sont entrés dans une forme d’esthétique d’eux-mêmes » pointe le chercheur Guillaume Gourgues dans un article retraçant le processus de dépolitisation de la démocratie participative18. « Ils semblent souvent exister pour exister, leur simple présence relevant d’argumentaires généraux et désincarnés : la célébration de la prise de parole, de l’écoute, de la concertation, de l’intelligence collective, du projet. »

Panorama des dispositifs locaux de participation

Au niveau local, la démocratie participative peut prendre des formes diverses. Les professionnels de la participation font souvent référence à l’échelle de la participation théorisée par Sherry Arnstein en 1969 pour distinguer ce qui relève de l’information, de la consultation, de la concertation ou de la codécision. En réalité, cette typologie est difficile à manier tant les frontières entre ces catégories sont soumises à interprétation et tant chaque démarche navigue entre plusieurs registres. Au lieu de chercher à hiérarchiser les degrés de participation, il nous semble préférable d’en rester à la description factuelle des dispositifs mis en place.